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Encadrer le droit pour protéger le consommateur: l’exemple du contrat de compte bancaire (I)

Abréviations utilisées :
CO – Code des Obligations (CH)
CMF – Code Monétaire et Financier (FR)

Une des problématiques générales du droit bancaire est la gestion des relations entre la banque et son client , spécialement dans les actes de la vie courante, cœur même de toute relation contractuelle. Comme dans tous les droits particulièrement techniques, centrale est la question de l’impossibilité pour l’individu moyen de comprendre le contenu de son contrat, les problématiques et les enjeux qui découlent des différentes clauses.

Il faut toujours présumer le pire pour pouvoir obtenir une solution in media res : pour répondre à cette problématique les autorités ont choisi dans les différents pays de réguler la matière en amont . Elles ont choisi d’entreprendre soit une action normative ou réglementaire, soit laisser la matière dans la main des juges, ou encore intervenir à travers l’intermédiaire des autorités de régulation et de la soft law. Toutes les solutions ont leur pour et contre : intéressons nous aux exemples suisses et français, et dans cette comparaison au sujet le plus conflictuel, celui du contrat de compte bancaire (en droit français indiqué comme compte courant).

Pour protéger l’individu non professionnel (au sens de la loi Hamon), le droit français a répondu à cette question de la façon avec laquelle il répond toujours aux questions de protection du non professionnel, c’est à dire en mettant en place des protections législatives spécifiques sur le modèle du droit général de la consommation. Le droit de la consommation bancaire français se sépare du droit général de la consommation par sa terminologie, mais également par le contenu de ses obligations. Le consommateur est réuni collectivement dans le terme « clientèle » ou indiqué par le terme « client »[1]. Cette spécificité cache également des obligations spécialisées : le droit bancaire répond de principes spéciaux qui ne se retrouvent pas dans le droit normal.

Parmi les obligations qui gouvernent l’action des établissements de crédit dans l’accomplissement des opérations de clientèle, certaines ont pour objectif la protection de l’intérêt général[2] alors que d’autres au contraire sont orientées vers la clientèle, afin de la protéger. L’articulation de ces deux séries d’obligations peut paraître difficile : un établissement de crédit est tenu à la fois par une obligation de secret et par une obligation de s’informer sur le client et d’informer les autorités publiques. Les devoirs des établissements de crédit envers la clientèle trouvent leur limite dans la protection d’un intérêt supérieur qui est celui du public en général. Ils sont :

  • Le principe de non-ingérence, encore dénommé principe de non-immixtion impose aux établissements de crédit de ne pas intervenir dans les affaires de leurs clients. Dégagé par la doctrine à partir des décisions jurisprudentielles[3] et consacré implicitement par le Code monétaire et financier dans ses dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment et expressément par le Code de la consommation dans ses dispositions relatives au surendettement[4], ce principe repose sur un paradoxe apparent : il protège à la fois le client et le banquier. Il protège le client qui désire que son banquier ne se mêle pas de ses affaires. En conséquence, ce dernier ne peut intervenir, ni pour empêcher son client d’accomplir un acte irrégulier, ni pour refuser d’exécuter les instructions données par son client au motif que celles-ci lui paraissent inopportunes.
  • Le devoir de vigilance, autrement dit le banquier est responsable de la prévention des fraudes sur le compte de son client. Il présente trois aspects, à savoir la surveillance, l’information et le discernement, et correspond à une norme permettant d’apprécier la responsabilité d’un banquier normalement diligent.
    • Le banquier doit également surveiller ses clients afin de pouvoir déceler les anomalies qui sont évidentes, apparentes, c’est-à-dire celles qui ne peuvent pas échapper à un banquier normalement diligent.[5]
    • Information. Ce lien entre la surveillance et l’information peut être illustré par l’article L. 561-10-2 du Code monétaire et financier qui concerne le blanchiment des capitaux : lorsque l’organisme financier constate qu’une opération d’une certaine importance se présente dans des conditions inhabituelles de complexité et ne paraît pas avoir de justification économique ou d’objet licite, il doit se renseigner auprès du client sur l’origine et la destination des fonds ainsi que sur l’objet de la transaction et l’identité de la personne qui en bénéficie.
    • Vigilance-discernement. La distribution des crédits est certainement le domaine où le devoir de vigilance a le plus d’impact. Non seulement le banquier doit s’informer sur la situation financière de l’emprunteur profane, il doit également alerter celui-ci de l’importance du risque qu’il encourt en cas de crédit excédant ses capacités financières.
  • Le devoir de secret, d’origine prétorienne mais formalisé avec la loi bancaire du 24 janvier 1984[6], qui a levé toute incertitude en renvoyant au Code pénal français : le CMF modifié par la loi du 4 août 2008,[7] redit ce qui fut affirmé par le premier texte. Il est donc clair que le banquier doit s’abstenir de divulguer des informations sur ses clients sous peine de sanctions civile et pénale. Le secret bancaire couvre uniquement les informations confidentielles
  • Information : existant depuis longtemps en matière bancaire, domaine où la jurisprudence a imposé au banquier l’obligation d’informer ses clients à l’occasion des opérations de clientèle, les dispositions de l’article R. 312-1 du CMF relatif aux informations relatives aux conditions générales de banque et à l’ouverture des comptes, celles de l’article L. 312-1-1 du même code sur les conditions générales et tarifaires applicables aux opérations relatives à la gestion d’un compte de dépôt 2642 et celles de l’article L. 111-1 du Code de la consommation qui imposent une obligation générale d’information précontractuelle (caractéristiques des biens et services, prix, délai de livraison ou d’exécution) au profit des consommateurs et à la charge des vendeurs de biens et des fournisseurs de services. Ces dispositions doivent être, depuis la réforme du droit des contrats, combinées avec les dispositions de l’article 1112-1 du Code civil qui dispose, dans son alinéa 1, que « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou faite confiance à son cocontractant ».

En droit suisse, la nécessité de protéger le consommateur comme partie la plus faible à un contrat de fourniture de services en tous genres s’est concrétisée tout d’abord dans de nombreuses règles de droit matériel contenues dans des lois éparses. Ces dispositions se sont doublées de règles procédurales voulant à faciliter l’accès des consommateurs à la justice en les guidant vers des actions défensives et en réparation qui sont mises en œuvre dans des procédures rapides lorsque la valeur litigieuse ne dépasse pas le seuil de CHF 20 000. Par ailleurs, cette volonté de protection s’est traduite par des règles de compétence semi-impérative en faveur du domicile du consommateur.

Or, contrairement à la France, il n’existe pas vraiment, en dehors du droit institutionnel, un droit bancaire « privé » à proprement parler.[8] Aucune loi ne prévoit une relation spéciale entre le client et l’entité bancaire qui travaille avec lui[9] : on applique aux relations entre la banque et son client les normes dérivants du droit civil helvétique, contenu dans le Code des Obligations. Par exemple, le droit suisse ne reconnaît pas la notion de contrat bancaire général, espèce de contrat cadre applicable à toute relation entre un client et sa banque : les comptes bancaires sont assimilés au mandat. Il n’en demeure pas moins que toute relation de compte comporte des éléments du mandat, présents à des degrés divers en fonction des prestations que le client attend de sa banque.

L’absence d’un droit spécifiquement bancaire des contrats et de la consommation ne signifie pas pour autant une absence d’obligations particulière. Contrairement au droit européen, qui contient une « liste grise » de conditions potentiellement abusives, en droit suisse, ce sont les tribunaux qui se prononcent sur le caractère abusif de conditions générales, après avoir pris connaissance de toutes les circonstances du cas d’espèce.

De cette présence d’éléments du mandat dans toute relation bancaire, découle l’obligation de la banque de rendre compte de son activité, en application de l’art. 400 CO-CH, reconnu par la jurisprudence comme étant de droit impératif. Pour satisfaire à cette obligation, les renseignements fournis par le mandataire doivent être suffisants et compréhensibles, et couvrir l’ensemble des éléments permettant au mandant de comprendre les opérations effectuées, d’être éclairé sur les éventuelles erreurs du mandataire, et de pouvoir vérifier que celui-ci a bien respecté les instructions qui lui ont été données. Le mandataire doit toujours être en mesure de rendre compte immédiatement de sa gestion. Pour continuer dans cet exemple du mandat bancaire comme fondement du compte bancaire, c’est sur ce fondement que lorsqu’une banque a effectué plusieurs transactions non conformes, une estimation du dommage au sens de l’art. 42 al. 2 CO n’est possible que si les investissements fautifs ne sont plus déterminables ou lorsqu’il n’existe pas assez d’investissements exécutés en bonne et due forme en comparaison avec les investissements fautifs.[10]

C’est ainsi que le d’autres règles de droit suisse des contrats l’appliquent par analogie. Par exemple, lorsque le consommateur a accepté les conditions générales en bloc, il faut vérifier si elles sont conformes à la règle de l’insolite : en vertu de cette dernière, les clauses inhabituelles sur l’existence desquelles le professionnel n’a pas spécialement attiré l’attention du consommateur ne sont pas réputées comme ayant été acceptées par le consommateur (ATF 119 II 443).[11]

  1. T. Bonneau, Droit bancaire, LGDJ 2018
  2. et relèvent de ce fait de l’idée de police bancaire
  3. La première application jurisprudentielle du principe de non-ingérence semble être un arrêt de la Cour de cassation en date du 28 janvier 1930 (Gaz. Pal., 1930. 1. 550 ; Rev. trim. dr. civ., 1930. 369, obs. Demogue)
  4. L. 761-2, al. 2, Code de consommation (France)
  5. Cass. com., 11 janv. 1983, Bull. civ. IV, no 11
  6. Ancien art. 57 de la loi du 24 janvier 1984 qui renvoyait aux peines prévues par les articles 226-13 et 226-14 du Code pénal français
  7. Art. L. 511-33 et L. 571-4, al. 2, Code monétaire et financier, le second texte renvoyant aux peines de l’article 226-13 du Code pénal.
  8. Art. L. 511-33 et L. 571-4, al. 2, Code monétaire et financier, le second texte renvoyant aux peines de l’article 226-13 du Code pénal.
  9. I. Romy, « Les contrats de service financiers comme contrats de consommation  : for et droit applicable »,  ; I. Romy, « Le «for du consommateur» et les contrats de services financiers s à la lumière de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral & », s.d., p. 16.
  10. C. Hirsch, « ATF 144 III 155 – La preuve du dommage dans une action contre une banque », LawInside., 23 mai 2018, p. 1, disponible sur http://www.lawinside.ch/604/.
  11. L’art 8 de la Loi fédérale contre la concurrence déloyale qualifie de déloyale la pratique d’une personne qui utilise des conditions générales qui, en contradiction avec les règles de la bonne foi, prévoient, au détriment du consommateur, une disproportion notable et injustifiée entre les droits et les obligations découlant du contrat.