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Encadrer le droit pour protéger le consommateur: l’exemple du contrat de compte bancaire (II)

Contrats et instruments libres ou nommés : des choix radicalement différents

Le droit suisse ne reconnait pas le un droit bancaire privé séparé du droit civil, comme nous l’avons déjà dit. Il reconnaît également la spécificité de très peu d’instruments bancaires, ce qui pose une autre différence fondamentale entre le droit français, et aussi européen, et suisse : la question de la liberté des entités bancaires à proposer des services nouveaux aux clients de leurs entités.

Si certains instruments du droit bancaire, comme le chèque ou la lettre de crédit ont déjà été réglés par le droit international depuis plus d’un siècle (la convention de Genève sur les chèques, nous l’avons dit, date de 1907) la majorité des contrats ne font l’objet d’un texte particulier, contrairement au droit français et européen. Une des rares exceptions est le crédit à la consommation, qui fait l’objet d’une loi depuis 2008. La Loi fédérale sur le crédit à la consommation (LCC-CH) encadre et protège les consommateurs lors de la conclusion de crédits personnels, de leasing et, dans une moindre mesure, de cartes de crédit, les cartes de clients et les cartes avec option de crédit, mais seulement dans la limité de 80000 CHF. Or ne sont pas concernés[1] les:

  • Contrats de crédit ou promesses de crédit garantis directement ou indirectement par des gages immobiliers (par exemples les prêts hypothécaires) ;
  • Contrats de crédits ou promesses de crédit couverts par le dépôt d’une garantie bancaire usuelle ou pour lesquels le consommateur a déposé suffisamment d’avoirs auprès du prêteur (par exemple les prêts sur gages) ;
  • Crédits accordés sans rémunération en intérêts ni autres charges ;
  • Contrats de crédit ne prévoyant pas d’intérêts à condition que le consommateur accepte de le rembourser en une seule fois ;
  • Crédits portant sur un montant inférieur à 500 francs ou supérieur à 80’000 francs ;
  • Contrats en vertu desquels le consommateur est tenu de rembourser le crédit dans un délai ne dépassant pas trois mois ;
  • Contrats conclus en vue de la prestation continue de services privés ou publics, en vertu desquels le consommateur a le droit d’en régler le coût, aussi longtemps qu’ils sont fournis, par des paiements échelonnés
  • Contrats passés avec des professionnels

Elle ne concerne, donc, finalement que des cas limités : 80’000 CHF est une somme moyenne, puisque le salaire suisse (exprimé en brut mensuel, toutes fonctions et tous secteurs confondus) était en 2016 en moyenne de 6 502 francs suisses (soit un peu plus de 78 000 francs suisses bruts annuels). Cela signifie-t-il pour autant que la place financière suisse est une jungle pour le consommateur ? Non, car le maillage contre les abus existe à priori : la FINMA, autorité régulatrice du secteur bancaire dont nous avons déjà parlé, contrôle individuellement les solutions de crédit proposées par les entreprises du secteur. Et vu que, contrairement à la France, le monopole bancaire se définit plutôt par la possibilité d’offrir des contrats de crédits (la réception de fonds opposables du public est assez commune), la FINMA ne doit pour cela contrôler que les offres effectuées par les banques.

La solution français et européenne est inverse[2] : presque tous les contrats et instruments qui peuvent être proposés par les entités du secteur bancaire font l’objet d’une qualification juridique a priori. Cette logique répond de la volonté de mise en concurrence des entités bancaire par l’Union Européenne, qui veut ainsi permettre, à terme, la passeportisation de l’ensemble du marché du crédit. Par exemple, en juin 2014, l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et l’Autorité bancaire européenne (ABE) ont adopté les lignes directrices du Comité mixte pour le traitement des plaintes dans les secteurs financier et bancaire. En mars 2016, la directive sur le crédit hypothécaire (DCM) a commencé à s’appliquer et a introduit des exigences pour les contrats de crédit proposés par de nouveaux types d’acteurs, définis comme « intermédiaires de crédit » et « créanciers », ces derniers étant composés d’établissements de crédit et de créanciers non établissements de crédit.

La liste des instruments et contrats déjà présents dans le droit européen ou dans le CMF-FR est déjà très long : les chèques (art.L131-1 et s), la lettre de change et le billet à ordre (art. L132-1 à L132-2), tout autre instrument physique (art. L133-1 et s.), les titres et les contrats financier (L211), les titres de créances dont bons du trésors (L212-1-A), les placements collectifs (L214 et s. ), les produits d’épargne d’état (livret A, PEA, PCC, etc. (L221), les produits d’épargne salariale (L222-1), les opérations de banque (L. 311), les comptes de banque (L312), toutes les formes de crédit (L313), les services de paiement (L314-1), etc. Rares sont les domaines qui échappent au contrôle de l’autorité bancaire européenne.

Pour conclure, la société bancaire qui essaye de s’attaquer aux marchés de pays différents ne tombera pas forcément sur le même monde juridique. Loin de s’aligner, le monde bancaire semble diverger quant aux pratiques et aux modalités de contrôle. Et ces diverges se voient encore plus en matière d’autorisation des nouveaux entrants dans le marché bancaire, les Fintech.

  1. Liste du groupement Suisse Romand de la Consommation
  2. R. Bonhomme et F. Reille, Instruments de crédit et de paiement, 2017